Shagan: L’Ombre du sorcier

à écouter sur: https://youtu.be/SAkeGuRTXpg

JEUNESSE:

Shagan était un mystère pour tous. Certains disaient qu’il venait des terres sauvages du Rölund, où les vents hurlaient et les chevaux galopaient librement. Sa peau pâle et ses cheveux de jais rappelaient ceux des nomades qui vivaient de rapines et de pillages. Mais il ne confirma jamais cette rumeur. D’ailleurs, comment aurait-il pu franchir les montagnes enneigées et les gouffres sans fond qui séparaient le Rölund du reste du monde ? Il n’avait que onze ans quand il se présenta, maigre et hagard, aux portes du monastère. Son corps portait les stigmates d’une longue et difficile errance. Mais les moines ne le repoussèrent pas. Ils accueillirent le jeune homme comme ils le faisaient pour tous les aspirants prêtres qui venaient des quatre coins d’Hykarion pour l’enseignement que promulguait le monastère.

LE MONASTERE D’HEKTASHYR:

Le monastère était un lieu reculé, dans un pays reculé, mais dont la renommée illuminait tout le continent, par la somme des sciences qu’il contenait et les hommes qu’il formait. L’école, car s’en était une, était difficile d’accès, le Norsk lui-même était difficile d’accès, et y étudier l’était tout autant. Une fois Lorynorsk atteint, il fallait traverser de sombres forêts , grimper quelques cols abruptes puis une fois au pied de la montagne, il restait l’ascension vers le sommet, un escalier si escarpé que les ânes refusaient de porter leurs hommes durant l’escalade. Le monastère avait pour mission de former les « grands conseillers », autrefois pour seconder les Chevaliers Dragons, contre les Seigneurs Sombres, durant la Guerre Noire. Désormais nombres d’entre eux prenaient la direction d’un diocèse d’Athor, conseillaient les rois et les seigneurs des Cités états, ou encore officiaient comme précepteurs et gardiens du savoir. Qui avait un enfant au monastère bénéficiait d’une certaine notoriété au sein des royaumes, autant qu’à l’Académie militaire de Port-Dragon.

LES ETUDES:

Shagan se révéla doué en de nombreux domaines, progressant plus rapidement que les enfants de son âge, qui pourtant avaient grandi dans des familles où l’enfance se passait dans l’insouciance et loin du besoin. Sa soif de connaissance, et plus particulièrement à propos de tout ce qui avait trait aux sciences, était intarissable. L’astrologie, la théologie, l’alchimie, ce qui faisait référence aux énergies mystiques et les mystères du corps le passionnaient. En quelques années à peine, Shagan avait parcouru une grande partie de la bibliothèque du monastère. Il était la fierté des diacres et même les moines plus âgés avaient un grand plaisir à échanger avec lui tant sa cognition lui avait permis d’exceller dans des champs de savoir qu’ils étaient bien incapable d’approfondir simultanément. Mais ses facultés en avait fait un adolescent solitaire, plus prompt à chercher les recoins calmes pour étudier que la compagnie plus exubérante des jeunes gens de son âge, au grand dam de ses maitres qui voyaient en lui un conseiller d’envergure pour quelque grand seigneur de ce monde. Mais Shagan ne désirait rien d’autre que rester au monastère et accumuler toujours plus de connaissances. Quand il lâchait ses livres pour les séances obligatoires de copies, c’était un passage obligé pour dispenser le savoir un peu partout en Hykarion, il en profitait pour rédiger ses propres parchemins, dans le dos de ses professeurs. Entre sa 16ème et 19ème année, il avait rédigé pas moins de 5 traités, où il avait corrigés et recompilés un grand nombres d’ouvrages complexes, se voyant par là même confié une chaire d’enseignant, fait unique dans les deux milles ans d’existence de l’école.

LA CURIOSITE:

Maintenant qu’il n’était plus un apprenti, mais un moine à part entière, sa liberté au sein de l’école lui laissa plus de temps pour la recherche et même l’exploration. Ainsi Shagan commença à étudier le monastère et son histoire. Un jour, un peu par hasard, même s’il rapporta à un de ses anciens camarades en avoir rêvé, il découvrit un vieux grimoire enfermé dans un coffret de métal. Celui-ci avait été scellé et caché sous une dalle de la réserve des livres anciens. Gêné par la vieille table bancale où il s’était mis à écrire, il s’était aperçu, titillé par son rêve, que la pierre pouvait être enlevée, révélant ainsi un compartiment secret. Curieux, il ouvrit le coffret, un peu déçu de n’y trouver qu’un livre assez simple, fait de plans complexes, d’architecture et d’ingénierie, qui étaient des domaines qui l’intéressaient nullement. Mais il remarqua une chose, un dessin qu’il reconnu et sur lequel son attention fut attiré un peu malgré lui. C’était un plan de coupe de la crypte, sous la grande nef, qui indiquait l’emplacement d’un tunnel qui, alors qu’il en connaissait les moindres recoins, semblait s’enfoncer dans les profondeurs de la montagne.

LA PORTE:

Voilà un mystère que le jeune Shagan ne pouvait laisser de coté, tout comme il lui était impossible d’en parler à qui que ce soit, de peur qu’on lui interdise la quête de cet étrange passage caché. Ainsi, la nuit, à l’insu des moines, se faufilait il dans les méandres du monastère en direction de la crypte, jusqu’au petit matin. Des semaines durant il chercha la fameuse entrée, sans résultat. Ceux qui avaient bâtit cet endroit, avaient pris grand soin d’effacer toute trace du dit passage. Puis les mois passèrent, il approfondit ses connaissances, enregistra le moindre indice pouvant se révéler décisif, et après deux années de recherches presque obsessionnelles, il fini par découvrir un signe, une clé en forme de signe pour être exacte. Tel un jeu de piste, étaient disséminés dans tout le monastère des mécanismes tenant lieu de verrou, dont il lui fallut patience et méthodologie pour en percer le code. Douze signes, et seulement l’obscurité pour en trouver la suite. Mais une nuit, enfin, un grincement se fit entendre dans la crypte, et un souffle antique s’échappa d’une ouverture que personne n’avait vu depuis la dernière pierre posée et peut-être même avant.

LE PUIT:

Ce que découvrit Shagan cette nuit là refroidit son enthousiasme, car ce qu’il avait espéré être une salle secrète, voir le tombeau du premier diacre, déboucha sur un long corridor sombre, humide, d’où s’échappait un courant d’air dont l’odeur indescriptible s’apparentait surement aux relents répugnant d’un cadavre en décomposition. Trop impatient d’en découvrir plus, il se doutait que si les premiers architectes du monastère avaient pris la peine de fermer et cacher cette entrée, c’est que ce qui s’y trouvait était d’une importance qu’il se devait de découvrir, il s’enfonça dans les ténèbres armé de sa seule torche. Quand il déboucha de l’autre coté du couloir, la pièce était vide, à l’exception de quelques colonnes qui en ceignaient le tour. Pour seule source de lumière, il y avait un large plateau d’argent suspendu au plafond, rempli d’étranges cristaux bleutés qui jetaient une pâleur fantomatique dans la salle. Shagan n’avait jamais vu ce dispositif, en soi c’était déjà une découverte intéressante, mais le trou au milieu de la pièce attira aussitôt sa curiosité. Au centre, il y avait un trou, énorme, béant, par où le souffle du vent remontait d’une façon grave et monotone, comme le ronflement d’une bête. Les parois, du moins visiblement, étaient trop lisses pour en faire l’escalade, comme si l’on avait cherché à dissuader quiconque tenterait d’en faire la descente…ou à quoique ce soit de s’en échapper.

Au petit matin, avant que tout le monastère ne s’éveille, il quitta à contre cœur sa découverte, épuisé mais terriblement impatient d’y retourner le soir venu. Il n’eut aucun mal à trouver le mécanisme qui refermait le passage et fut soulagé qu’une fois le mur remit en place, il ne resta nulle trace de son ouverture. Mais rien ne pouvait plus arrêter l’obsession que fit naitre cette découverte chez Shagan. Jour après jour, il remplit la salle du puit avec le matériel nécessaire à sa descente. Lui qui n’était pas un ingénieur, il se mit à étudier la mécanique et les machineries complexes, les rouages, les contrepoids, au point de susciter de l’étonnement chez les autres moines. Durant le jour, il partait en quête des ouvrages les plus anciens, ceux dont il ne restait que des fragments tant le temps en avait décomposé le vélin et la soie. Quelques tablettes lui apprirent que les premiers hommes du Norsk, aidés par ceux que l’on nommait encore Drelïns, construisirent la première chapelle, à la gloire de la déesse Lanila, mais rien de plus probant, avant que les moines n’en fassent un lieu de retraite puis l’école d’aujourd’hui.

ET LES AMES SOMBRERENT DANS LA FOLIE

Les mois passèrent et l’obsession se fit plus pesante au point que le comportement de Shagan et les rapports qu’il entretenait avec les autres habitants du monastère commencèrent à se tendre. Ses nuits se peuplèrent tout d’abord de sensations étranges, celle d’être observé ou de murmures incompréhensibles dans des langues imprononçables, de vertiges éternels dans les limbes abyssales. Puis vinrent les visions perturbantes où de sombres créatures inconnues venues de dimensions indicibles, tant leurs formes, leurs borborygmes et leurs mouvements défiaient les lois de ce monde-ci. Shagan ne dormit presque plus, de peur d’être à nouveau la proie de ses rêves horribles, et quand après avoir lutté il finissait par s’endormir, les cauchemars n’en étaient que plus violent et perturbant. L’horreur atteignit son paroxysme la veille de sa descente dans le puit. Au petit matin, on entendit un cri si glaçant traverser les couloirs encore désert que le diacre lui-même, accompagné d’une douzaine de moines, se rendit sur place, craignant qu’un terrible accident ne se soit produit.

UNE FORCE OBSCURE SE REVEILLE:

La descente dura un temps infini et rapidement les lumières vacillantes disposées autour du puit s’effacèrent, pour laisser place à une obscurité et un silence inquiétant. Sur les parois, nulle trace, nulle aspérité, nulle fresque qui auraient, se dit Shagan, laissé une chance d’y descendre sans difficulté, à bien y réfléchir c’était aussi le cas pour s’échapper de ce gouffre profond. Voyant la longueur de la corde se réduire drastiquement, il craignit durant un moment qu’il n’y eu jamais de fond et que ce puit n’eut été qu’un piège machiavélique pour quelques aventuriers trop curieux des premiers âges. Arrivé au bout, il décrocha l’une de ses cordes de secours, qu’il nouât à son système afin de gagner encore quelques dizaines de mètres supplémentaires. Son cœur palpitait d’anxiété car il se savait peu physique et descendre à bout de bras ne le rassurait pas sur le possible chemin de retour.

Dans le noir complet, il se laissa glisser, jusqu’à ce qu’un courant d’air, qui ne remontait pas des abysses mais de sa droite, vint frôler ses cheveux trempés de sueur qui collaient à sa nuque. Il frissonna, s’arrêta, et attendit que le souffle caresse à nouveau son visage. Quelque part dans les ténèbres un passage se dissimulait à son regard. Avec précaution, il se mit à se balancer, jusqu’à ce qu’après un moment, son pied finisse par toucher un rebord solide où se poser. Il alluma une petite lanterne qui, créant une sphère de lumière, le rassura un peu. Le boyau était assez large pour lui, il descendait en pente douce et puisqu’il était plongé dans l’obscurité au delà du petit îlot de lumière, laissait à penser que ce n’était pas un cul-de-sac.

Au bout de quelques mètres à peine, Shagan se rendit compte qu’une gène étrange le taraudait, et plus il s’enfonçait dans l’étroit couloir et plus ce sentiment se transformait en certitude. Alors qu’il progressait dans cet espace sans fin, il se mit à entendre clairement des voix, semblables à celles de ses rêves. Au point de se demander s’il n’avait pas été suivi par un membre du monastère ou si une créature, sortie d’un trou invisible ne s’était pas lancer à sa poursuite. Ces chuchotements commençait à le perturber. Il fini par rencontrer un nouvel obstacle. Devant lui, le boyau se jetait en pente abrupte vers des tréfonds obscurs. Les voix, maintenant, l’appelaient distinctement et il aurait fait demi-tour si elles n’avait fini par lui faire perdre son esprit si cartésien et logique.

Shagan, à demi submergé, tomba dans le vide, glissa, encore et encore, si longtemps et durement que, son corps bringuebalé en tout sens, lui donna l’impression de se fracasser ou se déchirer sur les parois. Il rouvrit les yeux, étourdi, le visage plongé dans ce qu’il pensait être une flaque boueuse, jusqu’à ce que le gout métallique de celle-ci ne lui rappela le gout du sang, et il discerna alors une pale lueur fantomatique. Par miracle il n’avait rien de cassé. Il se releva et commença à suivre la source de cette lumière. Tandis que ses yeux s’habituaient, il commença à discerner des formes autour de lui, d’immenses colonnes décorées dont il ne percevaient, dans cette pénombre, tous les détails. Enfin, sous une nef cyclopéenne, baignée par le voile bleuté des cristaux luminescent, se trouvait tel un colosse enchainé, une statue monumentale à la silhouette humanoïde. L’immense chapelle et son géant semblaient aussi vieux que le monde. Mais ce n’est qu’au moment où le jeune homme vit les yeux de la statue qu’une chose indicible s’insinua en lui, comme un virus qui pénètre et s’accroche à son hôte. Les voix se turent, mais pour ne faire plus qu’une, claire, limpide, et sinistre à la fois.

UNE AME TOURMENTEE:

Quand il remonta, ne sachant pas comment, car il n’en avait aucun souvenir, on lui apprit qu’il avait disparu plusieurs jours durant, lui qui imaginait son périple n’avoir duré que quelques heures à peine. A partir de ce jour, son état d’esprit se mit à changer, lui qui était curieux devint obsessionnel, lui qui incarnait la constance devint irritable, et la nuit certains élèves et même moines commencèrent à éviter de passer devant sa cellule car, disait on, on entendait parfois plusieurs voix mystérieuses parler entre elles et, pour la plupart, leur timbres à donner froid dans le dos semblaient sortir de bouches non humaines.

A LA RECHERCHE DE L’OMBRE:

Pour Shagan, l’étude des livres les plus anciens et même interdits devînt une quête. Certaines salles, remises et greniers qui n’avaient pas vu la lumière d’un candélabre depuis des décennies ou même des siècles commencèrent à recevoir la visite du moine, à la recherche de manuscrits et de grimoires dont nul n’avait entendu parler, même les plus anciens. Après quelques années de recherches, il découvrit une liste, un peu par mégarde, soigneusement cachée au milieu d’un épais volume. C’était une simple feuille, comportant les noms de trois volumes, aux titres terrifiants, dont il ne trouva finalement aucune trace à Hektashyr . Puis un jour, au détour d’une conversation entre trois élèves, celui qu’on prenait désormais pour un illuminé, ou un fou, entendit parler des fameuses bibliothèques de Port-Dragon, Valador et Lorynorsk. Il devînt alors évident que les livres qu’il cherchait ne pouvaient se trouver que parmi ses trois bibliothèques. Germa alors dans sa tête un impossible voyage.

LA BIBLIOTHEQUE ROYALE:

Shagan débuta son périple par la plus lointaine, Valador. Après quelques mois d’infortune, les pistes qu’il y trouva le menèrent à Port-Dragon. Sur la recommandation du diacre d’Hektashyr, le vicaire de la cité, grand ordonnateur du clergé d’Athor, lui ouvrit toutes grandes les portes de la bibliothèque. Il mit même à son service un jeune moine du nom d’Andemus DeGoth pour l’aider dans ses recherches. Après des mois, ils finirent après maint périples par découvrir là où se cachait le premier ouvrage. A contrecœur, ils décidèrent de garder leur découverte secrète car ce qu’ils y trouvèrent les aurait non seulement excommuniés mais menés à la mort. En secret, tel un maitre et son apprenti, Shagan et Degoth, étudièrent les pages maudites des années durant. Puis un jour, sans que quiconque ne le comprenne, le vieux moine repris la route vers le Norsk, laissant derrière lui Andemus et un petit cercle de dévots qui les avaient rejoins.

Shagan ne retourna pas à Hektashyr, car la piste des livres devait le mener à Lorynorsk. Il y entra comme bibliothécaire, puis à la mort accidentel de la reine, il reçu la charge de précepteur de la jeune princesse Roweyna. Dans son esprit fatigué, assailli par la voix qui n’avait cessée de le hanter, s’opéra alors un changement. Le vieil homme recommença à s’ouvrir, délaissant sa quête au profit de l’enfante et il finit même par oublier ses livres maudits.

Mais, un jour où la princesse devenue jeune femme était parti en chasse avec son père, le Roi, et alors qu’il entreprenait une inspection dans le sous-sol de la bibliothèque, le vieux moine entendit son nom. Son véritable nom: Shagan Talamaqtis. Il fut comme foudroyé et alors qu’il était prostré sur le sol, comme si l’on venait de le frapper de la plus odieuse des manières, la voix l’appela à nouveau. Comme un croyant, il en appela à elle et elle lui répondit, il lui demanda de la guider, et elle le guida. Sans savoir comment, le soir même, à la lueur solitaire de la bougie, perdu dans sa propre bibliothèque, il ouvrit le lourd grimoire qu’il avait tant recherché. Les jours passèrent et passèrent, si bien que le personnel des cuisines du château finit par s’inquiéter en voyant s’accumuler, devant les lourdes portes de bois, les plateaux de nourriture.

Les jours et les semaines passèrent, et tandis que l’on s’inquiétait de sa santé dans les salles et les couloirs du château, Shagan tout à son étude commença à ressentir un pouvoir enivrant. Les textes faisaient référence à d’obscures mécanismes, d’étranges substances et d’antiques savoir perdus depuis des temps qu’il comprit être plus anciens que l’humanité elle même. Ces connaissances, dont il n’aurait dû comprendre le sens malgré son érudition, s’imprimèrent en lui, transformant son esprit, prenant place en lui comme s’il s’agissait d’un charme magique. Plus il consultait l’ouvrage, et plus la perception de celui-ci changeait, les mots qu’il lisait n’étaient plus ceux qu’il comprenait, c’était un autre niveau de conscience qui s’ouvrait à lui, la parole oubliée d’une race antédiluvienne. Quand il eut refermé enfin la lourde couverture, il se sentit différent, la voix, autrefois lointaine, s’adressa à lui, directement dans sa tête, comme s’il partageait désormais son corps avec une autre entité.

RETOUR AU MONASTERE:

Shagan quitta Lorynorsk, ne laissant derrière lui qu’un bref mot rempli de vagues justifications ésotériques, si bien que le roi lui même ne s’inquiéta pas. Shagan était un magicien et les magiciens agissaient souvent de manière étrange. Les semaines puis les mois passèrent et à mesure que le temps passait, le vieil homme sentait, une vigueur et une puissance insoupçonnable affluer en lui. Chaque fois qu’il ouvrait le mystérieux grimoire, ses rêves se faisaient plus sombres, terrifiants même, mais son esprit s’imprégnait d’une force telle, qu’un jour elle lui permit d’obtenir un véritable pouvoir magique.

C’est alors que sortant de la brume dans laquelle l’entité s’était dissimulée, la voix, charmeuse, maligne, lui réclama enfin son dû. Il était pris au piège. Elle insinua en lui des pensées maléfiques, le manipulant comme seule les divinités infernales savent corrompre les pauvres humains. A mesure qu’il sombrait, vers le mal et la folie, ses pouvoirs grandissaient.

Puis ses pas s’arrêtèrent devant les murs d’Hektashyr. Sortant du brouillard, le monastère n’était plus que le cadavre éventré de ce qu’il avait été des décennies plus tôt. Il n’y avait plus âme qui vive, ce n’était plus que ruines et silence, comme si la vie qui habitait le lieu avait été aspirée. Il sentit le mal roder, mais étrangement cela ne lui fit pas peur, car sa présence l’habitait déjà. Dans les allées, dans les salles, les réfectoires et la bibliothèques, dans la grande nef, jusqu’aux cuisines et les dortoirs, tout ce qui vivait avait disparu. Des vêtements jonchaient le sol, des meubles brisés ou jetés au sol encombraient les pièces, les vestiges de repas étaient encore disposés sur les tables, mais il n’y avait aucune trace de sang. La matière vivante avait disparu, évaporé, il ne restait qu’une étrange poussière grisâtre qui tapissait la pierre, là où le vent de l’abandon ne s’était pas engouffré pour en balayer les restes.

LE COMBAT CONTRE L’OMBRE:

Shagan errait à travers le squelette lugubre d’Hektashyr. Sans se rendre compte, il se retrouva au pied des escaliers qui menaient à la crypte. Une grande bouche noire, d’où quelques années plutôt il s’était extirpé sans trop savoir comment. Puis un courant d’air méphitique le prit à la gorge, l’odeur d’une pourriture sans nom remonta des entrailles de la terre. Son corps se mit à vibrer, comme si l’énergie noire issu des ténèbres affluait en lui. Pas à pas il s’enfonça, luttant de toutes ses forces et de toute son âme tandis qu’il comprenait le piège dans lequel il était tombé voilà longtemps. Prisonnier d’une force qui maintenant le manipulait à sa guise, il se sentait glisser vers des abysses de malfaisance. Lui qui avait touché du doigt la magie, il prit alors conscience de l’étendu du vrai pouvoir, quand le mal absolu et sans retenu vous tient entre ses griffes avides, et que le cadeau qu’il vous a consentit se révèle enfin comme le poison qu’il était.

Il avait fallut attendre un demi siècle pour que Shagan se retrouva à nouveau dans l’immense chapelle. Les yeux du géant le fixait toujours de ce regard pénétrant, mais cette fois l’expression qu’il arborait était terrifiante, les sourcils froncés, les traits exagérément déformés et un rictus malin s’accrochant à des lèvres si minces qu’on aurait dit les babines d’un animal enragé. La pierre semblait recouverte de bitume, et la substance ne cessait de se mouvoir tout autour de la statue, donnant l’impression qu’elle tressaillait sur place. Le vieil homme lutta contre cette vision d’horreur, pour ne pas devenir fou, grattant son esprit à la recherche de la lumière. Peu importe les formes qu’elle prendrait, il devait se raccrocher coute que coute à la moindre lueur dans ces ténèbres insondables.

Et l’Ombre se révélât enfin au magicien, Arrok, le fléau caché, l’ennemi de toute vie, le Dieu renégat. Shagan sentit alors le mal affluer autour de lui, comme une marée montant inexorablement, l’emprisonnant sous un océan de terreur pure. Shagan commença alors suffoquer, et tandis qu’il comprenait que l’entité qui lui faisait face cherchait à s’insinuer dans son propre corps, le Dieu se mit à lui parler. Et il reconnu la voix, cette voix qui depuis cinquante année, n’avait cessé de lui murmurer, insidieusement, sournoisement, le moindre de ses faits et gestes, manipulant la plus petite pensée pour arriver à ce moment.

« Tu es enfin prêt, bientôt tu prendras place sur l’échiquier de ma vengeance. J’attends ce moment depuis si longtemps que votre race n’en était encore qu’à manger des racines dans les sombres forêts de la décrépitude. Jamais nous n’aurions dû vous laisser la place, mais maintenant que je suis de retour, que mes ennemis sont morts, vous êtes seuls. Rien ne peut plus se mettre en travers de ma route, et quand j’en aurai fini avec cette planète, alors Athor sera le prochain… »

Shagan perçu le pouvoir du Dieu relâcher son étreinte, comme si celui-ci refluait devant un effort trop dur à maintenir. Il entendit, à l’intérieur de ce maelström, un millier de voix. Certaines, dans cette tempête, lui parurent familière, mais toutes répondaient à Arrok, au travers des dimensions et des états de la matière dont l’érudit n’avait qu’à peine effleuré l’existence à travers les livres maudits. Tout cela n’avait été qu’un piège, lent, méthodique, patiemment orchestré pour obtenir quelque chose de lui. C’est alors que Shagan prit conscience qu’Arrok lui avait donné un pouvoir, et par la connaissance la possibilité de l’utiliser.

Dans un effort de concentration surhumain, sa volonté se matérialisa, un flux invisible se mit à émaner de lui en une fraction de seconde, repoussant l’assaut mental d’Arrok. Le Dieu fut prit par surprise, et la matière noire qui couvrait l’idole gigantesque ondoya de plus belle, comme la surface d’un lac sous une pluie battante. Shagan, étonné par la réussite de sa contre-offensive, ne se relâcha pas, à nouveau il redoubla sa charge contre l’entité. Petit à petit, la volonté du magicien et celle du Dieu se matérialisèrent en une fine membrane palpitant sous le pouvoir de chacun. D’un coté il y avait le mal, emplissant de ténèbres le temple jusqu’à la voute, les dalles au sol se fendaient à chaque attaque et les colonnes oscillaient telles des brindilles dans un ouragan. Shagan, dans sa bulle, résistait. A l’endroit exacte ou se rencontrait les deux esprits, à la surface d’une membrane d’une finesse infinie, qui menaçait de se rompre à chaque instant, couraient des éclaires. Chaque arc éclatait en un crépitement lumineux. C’était comme si la matière de part et d’autre de celle-ci cherchait à s’annihiler mutuellement. L’esprit contrôlait la matière, mais à ce jeu que pouvait l’esprit d’un homme face à celui d’un Dieu, qui n’éprouvait ni pitié, ni bonté, ni remord, le mal absolu.

L’OMBRE ET SON ETREINTE:

De la statue jaillit un raz-de-marée de ténèbres, la forme vaguement humaine se gonfla, jusqu’à former une sphère colossale qui enveloppait le cœur dans son intégralité. A côté de la chose frémissante, le malheureux magicien n’était plus qu’une ombre dérisoire au centre de sa bulle qui se réduisait à chaque instant, submergée par des puissances désormais insondables

Finalement, la volonté du vieillard flancha, que pouvait espérer un simple mortel face à une entité si ancienne qu’elle dominait la matière et l’esprit? Alors le Chaos dévora Shagan, le plongeant dans son abominable obscurité, jusqu’à effacer en lui toute lueur d’humanité. A l’instant de sa fin, comme une ultime vision où tout se révèle, dévoilant les secrets de l’univers avant de sombrer dans les ténèbres, il saisit ce qu’était Arrok, quelle était sa puissance et que nul ne pouvait l’abattre à jamais.

LA TRAHISON DU SORCIER:

Quand Shagan rouvrit les yeux, son visage collait sur la pierre froide de la chapelle, il était à l’endroit exact où il s’était vu mourir. Sa vue était brouillée et un orage furieux grondait dans son crâne, mais il était bel et bien vivant. Avec peine, il se hissa sur ses genoux. Juste devant lui, immobile, se tenait une ombre, ou était ce une silhouette faite d’ombre? Dans son état d’hébétement, il était difficile de faire la distinction. A nouveau, il entendit une voix dans sa tête, c’était celle du Dieu, et il sentit une main invisible mais puissante le soulever, comme s’il était aussi léger qu’une plume. Il regarda ses mains, vide l’instant d’avant, elles tenaient maintenant un énorme grimoire à la couverture étrange, sombre et brillante à la fois, comme si les mystères qu’il contenait pouvaient défier l’impossible.

Le mot de l’auteur:

Merci d’avoir prit le temps de lire cette histoire et j’espère que vous avez passé une bonne lecture. Voyez y une introduction à l’univers de Roweyna, un petit cadeau pour ceux qui se demandent jusqu’où je vais vous emmener. Il me reste de nombreuses histoires à écrire concernant les personnages de Roweyna, en dehors de la trame des romans, Shagan, Maluïn, Vladim, Bagr et bien d’autres encore.

N’hésitez pas à donner votre avis dans les commentaires, à partager et à vous abonner. Il y a aussi la chaine youtube où vous pouvez retrouver en audio ces histoires ainsi que les premiers chapitres de mes romans.

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