à écouter sur: https://youtu.be/ZLwZbzb_PrU
La vie est un naufrage (partie 1)
Cette histoire commence quelques semaines après avoir quitté Port Kalim pour Bälomra, nous longions alors les côtes du golfe de Lagmen quand une terrible tempête se leva d’un seul coup et nous emporta vers le large. Cinq jours durant, notre navire fut chahuté par des vagues hautes comme des montagnes. J’entendais les créatures marines autour de nous hurler de faim et de colère, trépignant d’impatience que nous leur servions de nourriture. Malgré l’assurance du capitaine et l’expérience de son équipage, le navire subit plusieurs avaries et nous nous retrouvâmes, une fois la tempête passée, trop loin vers l’est de notre destination.

Pour ma part, après plusieurs décennies d’aventures à terre, je ne voyais pas d’inconvénient à faire un peu de canotage sur l’océan, car j’avais laissé derrière moi quelques mécontents sur la terre ferme. Même si un drelïn sait se cacher, je n’avais aucune envie de mettre un terme à mes aventures parmi les humains. Aussi contre mauvaise fortune bon cœur, je mis la main à la pâte avec l’équipage pour retaper les mats et les voiles endommagés. Sous un soleil devenu de plomb, nous nous retrouvâmes sans chemise. La grand-voile, parée de mille motifs bigarrés étaient magnifique. Il y avait parmi nous, un riche marchand de Valador et sa femme. Les marins eurent beaucoup de mal à détacher le regard du grand mat, dès que le vent se mettait à souffler on pouvait voir les froufrous onduler puis se gonfler sous l’effet du vent, humour d’humain je supposai à l’époque.
C’est après cela que les choses se gâtèrent. Tandis que nous remontions vers le nord pour reprendre notre route, nous fûmes pris en chasse par des pirates. Malgré un vent arrière bienvenu, l’étrange navire ne cessait de gagner du terrain sur nous. Quand je dis étrange, c’est parce que je n’en avais encore jamais vu de pareil. C’était un bâtiment de taille plus modeste que le nôtre mais l’assortiment et la disposition de sa voilure le rendait terriblement efficace avec ces vents tourbillonnants. Au bout d’une heure de poursuite, nous fûmes enfin à porter de canon. Si nous n’avions pas eu autant de passager, je pense que le capitaine aurait directement fait face à nos poursuivants, mais espérant que la lassitude finisse par les gagner, nous voguâmes ainsi jusqu’à l’ennui.
J’avais fait l’acquisition lors d’un séjour à Ludbury, une cité plus à l’ouest, d’un magnifique cimeterre dont je n’avais pas encore eu l’occasion de me servir pour sauver ma peau. Bien sûr, de tous les matelots présents, j’étais le plus aguerri. Quand on a vécu une guerre aux cotés de dieux, ce n’est pas un petit abordage qui m’aurait fait frissonner de peur mais plutôt d’impatience. Une fois les échange de boulets effectués, ces pirates à la peau jaune furent d’une précision redoutable, vînt enfin les choses sérieuses. Leurs canonnières percèrent un large trou, juste au-dessus de la ligne de flottaison, nous forçant à nous arrêter et les combattre sur notre propre pont. Avec l’agilité de ce que les humains appellent « chat », ils grimpèrent le long de la coque, lames entre les dents, couteaux à la ceinture et la rage dans les yeux.
Quel combat mais quel combat ! Ce fut aussi un massacre il me faut bien l’avouer. Au premier qui passa la tête au-dessus du bastingage, je la lui tranchai aussi nette que s’il avait été un fruit. Le second, ce fut la main et comme nous venions d’en savonner le bois, il glissa, poussant un cri d’effroi, avant de s’écraser sur ses camarades qui attendaient leur tour sur le pont de leur navire. Les troisième et quatrième étaient deux géants à la peau brune, le crâne chauve, une longue moustache effilée leur barrant le sourire et le corps bardé de cicatrice et de tatouages. Le plus massif des deux tenta directement de m’écraser sous son énorme masse d’arme. Bien sûr, il ne m’atteignit pas, et en échange je lui offris quelques entailles bien placées. Le plus malin avait commencé à me contourner, les deux gredins agissant de concert et ce ne fut que par le plus grand des hasards que j’évitai le coup en traitre de celui-ci. Ma botte s’étant prise dans le trou qu’avait laissé l’attaque du plus gros, je me retrouvai sur mon séant, une botte en moins mais la tête toujours sur les épaules. Autour de moi c’était un massacre, il ne restait déjà plus que la moitié des hommes d’équipage, et malgré la furie qui régnait on pouvait entendre les hurlements d’agonie des passagers qui s’étaient réfugiés dans les cales. Trop pressé par mes deux adversaires, je laissai cette affaire de coté pour me concentrer sur ma propre survie. D’un bond, je me remis sur pied et profitant de ma petite taille, tels les fameux félins, je bondi de gauche à droite, donnant le tournis à mes ennemis, avant de réussir à porter une attaque décisive sur le plus gras. Mon arme caressa dans sa grande largeur le ventre bedonnant du pirate, qui la seconde d’après déversa sur le pont du navire toutes ses entrailles en un flot presque intarissable de viande et de sang. Ses yeux exorbités me fixèrent, incrédules, un instant, avant que son corps énorme ne s’écrase finalement, désarticulé, comme un colosse de pierre, abattu.

Le combat ralenti, autour de nous le vent s’était levé et les vagues de plus en plus hautes, commencèrent à s’engouffrer à l’intérieur de notre navire, qui désormais tanguait dangereusement. Ce n’était plus qu’une question de temps avant que nous ne sombrions tous. Néanmoins mon adversaire ne semblait point s’en soucier, peut être voulait il me faire payer la mort de son ami, aussi je n’eus d’autre choix que de l’affronter. C’était un bon bretteur et ses deux lames faillirent à maintes reprises avoir raison de moi. Mais, hélas pour lui, une vie ne lui aurait pas suffit pour venir à bout du vieux drelïn que j’étais. Agité par la tempête qui se levait, tout ce qui n’était pas solidement attaché se mit à rouler et voler en tout sens. Cordages, poulies, voiles, coffres et tonneaux, autant de pièges à ma disposition que j’en souriais presque. Je profitai de l’instant ou la proue du navire s’écrasa sur une vague pour porter mon attaque, je sectionnai alors deux cordes, libérant une poulie qui sous la tension fusa comme un missile vers mon ennemi, le frappant à épaule. Sous l’impact il se retrouva au sol, groggy. D’une pichenette je faisais sauter la cale qui retenait de grosses barriques d’huile. Aussitôt elles roulèrent à vive allure à travers le pont pour finir par écraser, comme une galette, mon infortuné adversaire.
Mais ce que je n’avais pas prévu dans le feu de l’action, c’était que l’huile une fois libérée se rependrait, et quelque part, en dessous, qu’une torche l’enflammerait. Tel le souffle d’un dragon, l’incendie se propagea. Des pirates en flammes remontèrent terrifiés des profondeurs du navires, suivis par une épaisse fumée noire. Puis il y eu une explosion, suivi d’une seconde, qui dût éventrer le flan droit du navire car celui-ci se mit à s’étaler, poussé par les vagues de travers, sur la jonque des pirates.
Je m’agrippai de toutes mes forces au bastingage, quand survînt la troisième explosion. La dernière image que je vis, fut une gigantesque boule de feu en dessous moi et la sensation irréelle que je m’en éloignais à une vitesse ahurissante.
L’enfer vert
Lorsque je repris connaissance, le fracas du combat s’était tut, seul le cri d’une mouette au-dessus de ma tête et le ressac des vagues résonnaient dans mon crâne. Devant moi, à la manière d’une muraille, s’étendait à perte de vue, d’immenses plantes aux feuilles larges et aux troncs effilés. Le ciel était toujours gris, la tempête n’était pas loin mais le soleil avait cette blancheur aveuglante qui pour tout drelïn s’apparentait à un supplice. Je m’empressais donc de rejoindre le couvert de cette forêt, ignorant tout de ce que j’allais y trouver. J’étais sans arme, vêtu de braies et ma peau habituée aux terres sous la terre commençait à roussir sous l’effet du soleil. Tout n’allait pas pour le mieux mais au moins j’étais toujours en vie et j’avais déjà survécu à pire situation.
Après plusieurs jours à organiser ma survie, je me préparai donc à partir en expédition quand j’avisa à la périphérie de mon regard une étrange silhouette qui m’observait. A l’abri derrière une grosse roche basaltique, je ne pouvais voir que sa peau sombre et ses cheveux noirs et crasseux. Dans les proportions il faisait ma taille et durant un instant, je le pris pour un grolïn, mais ceux-là n’auraient pas survécu bien longtemps sous ce soleil implacable. Il s’aperçut lui aussi que je l’avais repéré et s’empressa, tel un serpent craintif, de disparaitre dans la jungle. C’est à ce moment que je me rendis compte, imprimant cette silhouette intrigante dans mon esprit, qu’il s’agissait peut-être d’une jeune fille ou d’une petite femme, endémique à cet endroit. Malgré mes nombreuses rencontres parmi les voyageurs et les marins d’Hykarion, je n’avais jamais vu ni entendu parler d’un tel peuple sous ses latitudes.

C’est donc le cœur plein d’espoir que je ramassai mon barda pour m’enfoncer dans la jungle, à la recherche de ma mystérieuse visiteuse.
L’intérieure des terres se révéla loin de mes espérances. Passé le sable fin, les arbres aux noix juteuses et les fleurs aux odeurs enivrantes, qui auraient pu me faire penser aux jardins de Zakabïn, la jungle se révéla être un bourbier infame et puant. L’humidité était étouffante et tout ce qui trainait sur le sol était dans un état de décomposition tel, que mes pieds s’enfonçaient à moitié dans cette boue spongieuse. Après plusieurs heures à patauger dans ce cloaque, traversant mangroves et marais stagnants, j’arrivai enfin à m’extraire et poser le pied sur un sol solide. Par chance, il n’était venu à l’idée d’aucune créature, sans doute immonde et mortelle, de venir gouter du drelïn.
Je sentais bien autour de moi des regards insistants, mais malgré mes facultés de rodeur, cet endroit n’avait rien de commun avec la sèche Hykarion, la moindre trace, le moindre parfum se retrouvait terni par cet enfer vert.

Il me fallait rapidement trouver un abri et si possible facilement défendable. Le terrain s’était depuis un moment surélevé et je trouvais alors avec satisfaction, une anfractuosité à même le flan d’une falaise, d’où ruisselait une fine chute d’eau et qui s’étalait majestueusement en un large bassin aux eaux cristallines. En plus de ma tanière pour la nuit, j’étais au sec, avec de quoi m’hydrater en toute sécurité.